Le sens de la marche

Dimanche 5 juillet – Il est rare de lire dans un regard et un sourire la pertinence d’un livre. Un marcheur solitaire contemple le paysage en contre-bas du chemin où coule une rivière. Avait-il parcouru dix kilomètres ou bien trente par monts et par vaux ? Qu’importe. Son visage témoigne de l’intense bonheur de la marche, partagé par ceux qui en ont fait l’expérience. Difficile de croiser un randonneur déçu…

C’est en puisant dans la littérature décrivant des chemins parcourus mais aussi dans ses propres expériences que David le Breton, sociologue à l’Université de Strasbourg, revient à l’un de ses sujets de prédilection : le plaisir de la marche, ses moments forts et toutes leurs nuances (1).

Cette description minutieuse et magistralement ordonnée n’apprendra peut-être pas grand-chose aux grands marcheurs.  Eux ont déjà vécu cette expérience totale qui s’ouvre par le désir de se lancer, s’accomplit sur le chemin et se déploie par le souvenir.

Certes, chaque expérience est singulière, chaque lieu se révèle différent pour ceux qui taillent la route. « La colline sur laquelle un marcheur a seulement posé un œil distrait arrête un autre qui la contemple un moment avant de reprendre sa route, rassasié par tant de beauté ». Nous ne sommes pas égaux devant l’éblouissement. 

La marche est une auberge espagnole. On y trouve ce qu’on y apporte.  Mais l’intérêt du livre de David le Breton est d’explorer quelques invariants qui réduisent la singularité des expériences. 

L’auteur pose aussi quelques grandes questions liées à la marche : Seul ou accompagné ? Marcher pour guérir ? Reprendre pied ? David Le Breton ne masque pas les détresses, les épuisements du marcheur. Partie intégrante de l’aventure, inutile de prétendre y échapper… Et il décrit finement quelques sentiments assez courants comme la mélancolie du retour.

En sociologue, il interroge le succès universel de la marche ces dernières décennies. Elle est parfaitement contradictoire avec la sédentarité croissante et inquiétante de nos sociétés. En France dans les années 50, « on marchait en moyenne 7 kilomètres par jour », aujourd’hui « à peine trois cents mètres ». Bien loin des 10 000 pas recommandés par l’académie, désormais vérifiables sur nos smartphones…

Il est possible d’interpréter ce goût contemporain pour le mouvement – « autrefois, on marchait par nécessité » – comme un refus paisible de la routine, de tous les enfermements contemporains et d’horizons bouchés.

Tout cela nourrit un désir brûlant de découvertes, de rencontres, de mise à distance d’un quotidien écrasant, de sobriété heureuse dans la mise en action des corps.  Le confinement a certainement accentué cette demande.

L’expérience de la marche selon Thoreau n’est rien d’autre qu’« un peu de poussière d’étoile de pris, un morceau de l’arc-en-ciel que j’ai saisi.» (2). 

1 – David Le Breton Marcher la vie Un art tranquille du bonheur Métaillé, 165 pages, 10 €
2 – H.D Thoreau Walden ou la vie dans les bois Paris Gallimard 1922

Balade

Mercredi 20 mai – Première véritable marche depuis le début du confinement. L’horizon s’est éloigné d’un kilomètre à cent, ce qui élargit quand même les perspectives. Ce site vous propose de voir jusqu’où vous pouvez vous rendre en toute légalité depuis Menou.

Sans aller jusqu’à des extrémités (100 km, ce sont les confins du monde à pied), s’évader dans les collines autour de Menou, tout le long d’un après-midi est un ravissement.  Découverte de la faune, de la flore le long des chemins, rythme de la marche et plaisir de la conversation, ces moments de déconfinement sont une invitation pressante à renouer avec des plaisirs simples pour tenter de compenser le poids des obligations, un peu pesantes, d’une reprise d’activité. Il faut désormais s’appliquer à développer toujours plus le goût de la liberté dont nous avons, paradoxalement, fait l’expérience tout en étant assignés à résidence.