Lundi 6 avril – Caroline Eliacheff est l’invitée de la matinale de France Culture. Elle nous dit que les parents ont pour premier rôle d’offrir de bonnes conditions de vie à leurs enfants avant de les instruire ce qui est le job des instituteurs. Cette épreuve est une occasion de repenser nos rôles et responsabilités.
A Varzy vivent durant l’année scolaire une vingtaine d’étudiants qui partagent quelques colocations. Ils ont environ 20 ans. Ils ont fait le choix de se confiner à Varzy, loin de leurs parents, ils appartiennent à la confrérie de ceux qui ont choisi la voie des métiers d’arts. C’est peu dire qu’ils manquent de repères face à la crise que nous traversons. Enseignant d’économie-gestion, mon rôle est de leur apprendre le mode de fonctionnement d’une entreprise, en l’occurrence artisanale. Je prends régulièrement le temps de leur commenter l’actualité avec la neutralité que mon rôle impose, c’est un exercice exigeant et passionnant.
A la demande de plusieurs d’entre eux, je fais un cours sur le Coronavirus et ses conséquences économiques et sociales. Pourquoi le confinement ? Quelle est la situation de la France au 16 mars et pourquoi une telle décision ?
- Une maladie très contagieuse souvent bénigne, parfois mortelle notamment dans les cas de co-morbidité ou chez les personnes âgées.
- Absence de traitement, absence de vaccin. Le seul traitement, attendre que ça passe, pour les cas graves, l’attente doit se doubler d’hospitalisation en service de réanimation.
- Les porteurs sains contaminent, on peut croiser une personne infectée, transporter le virus et le transmettre à une autre personne sans être atteint soi-même.
- On est contagieux durant la période d’incubation.
- L’immunité acquise n’est pas très stable ni permanente.
- Le virus restera présent longtemps voire perpétuellement. Les gestes barrières risquent fort de s’imposer bien au-delà de la période de confinement.
- Si on ne fait rien : propagation exponentielle, on arrive rapidement à 100% de la population infectée et 2 à 3% de la population meurt rapidement (soit environ 2 millions de personnes – à noter qu’environ 1,3% de la population meurt chaque année en temps normaux). Les services d’urgence sont débordés.
- Une croissance exponentielle n’a pas d’autre limite que de toucher 100% de la population. L’épidémie qui double le nombre de cas en 3 jours, multiplie par 1000 le nombre de cas en un mois et par 1 million en deux mois.
- Pour des questions de traitement digne des personnes qui déclenchent des symptômes graves, il est nécessaire de limiter la propagation du virus et d’empêcher sa croissance exponentielle.
- Exemple du SIDA dans les années 80 : pourquoi ne sommes-nous pas tous morts du SIDA. Si le développement du virus avait été exponentiel comme nous le craignions à l’époque, cela aurait provoqué une hécatombe. Seulement tout le monde ne couche pas avec tout le monde, le développement n’est que polynomial.
- Je ne couche pas avec mon voisin mais je respire le même air et je lui serre la main en le saluant, quant à ma voisine, je l’embrasse. Tout est prêt pour l’exponentielle.
- Les quarantaines : pourquoi ça ne marche pas ? Séparer la population saine de la population infectée est impossible. Les frontières sont toutes perméables.
- Le confinement, c’est créer de la viscosité dans la population pour freiner la propagation du virus. Le confinement qui est une multitude de micro-quarantaines, est plus efficace car il est plus facile de contraindre, de s’autodiscipliner, de contrôler et sanctionner à l’échelle de l’individu ou de la famille qu’à l’échelle d’un groupe nombreux ou d’une population.
- La Nièvre est un territoire à faible densité qui oppose une certaine viscosité au virus contrairement à une métropole où les gens s’entassent quotidiennement dans le métro.
- Je ne suis pas malade alors je me promène, j’ai été malade et suis guéri alors je peux faire ce que je veux, je ne crains rien, toutes ces stratégies exposent les autres et soi-même et sont des stratégies de passager clandestin.
- Il faut tenir le confinement jusqu’à ce que la population se soit immunisée ou qu’on ait trouvé un traitement voire un vaccin.
- Premiers résultats. Les réactions de la population sont encourageantes. Les hôpitaux tiennent le coup.
- Quelle sortie ? Quels sont les indicateurs qui permettront de décider de la sortie ? Le pilotage de la sortie devra s’adapter à la situation sanitaire et à la capacité de la population à suivre les règles. Excellent exercice de management, car à quoi sert une stratégie industrielle et les instructions qui l’accompagnent si les opérateurs ne les comprennent pas ?
- Quel impact économique ? Le message du Président de la République est clair. Nous vivons la période de confinement à crédit. Un jour il faudra payer. Ce sont essentiellement les entreprises et l’État qui s’endettent pour nous. Quels entreprises doivent repartir les premières ? La question est ouverte.
Alors que je ne pense pas avoir été particulièrement brillant car cette synthèse n’invente rien, aucun de mes cours ne m’a valu autant de remerciements. C’est avant tout l’expression d’un malaise de ces élèves face à la crise.
Le soir, conversation téléphonique avec mes parents. Ils sont installés dans le confinement qui s’avère moins contraignant au quotidien. Comme nous tous, ils s’adaptent. L’angoisse a disparu et le moral s’améliore. Ils ont passé un cap et abordent une mer plus clémente.
Retrouvez la série de nos chroniques de confinés.