Mardi 17 mars – Rien, le confinement ne change rien à la vie d’un couple habitué au télétravail, une journée comme une autre.
C’est terrible nous sommes en guerre et nous ne devons rien faire. Nous sommes tous membres du contingent des inutiles. Le slogan ‘Sauvez des vies, restez chez vous !’ résume bien la situation.
L’expérience du confinement est une source d’interrogation extraordinaire. Nous ne savons pas où nous sommes, ni où nous allons. La seule chose que nous sachions est que le confinement durera au moins quinze jours et que le gouvernement prend les coûts économiques à sa charge. Je reviendrai probablement sur ce second point.
Où sommes-nous ? Que signifie ce silence ? Nous ne savons pas encore ce que signifie la contrainte du confinement, ce qu’elle va impliquer sur notre quotidien le plus proche. Alors la première chose à faire est de se plier docilement à l’injonction. J’ai l’impression d’être un prisonnier auquel on a bandé les yeux et qui redécouvre la lumière une fois enfermé dans sa nouvelle cellule. Mon village ‘confiné’, il n’a rien de commun avec ce qu’il était la veille. Une drôle de prison à ciel ouvert et sans barreaux alors me revient le fameuse phrase de Zénon :
“Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ?”
L’œuvre au noir – Marguerite Yourcenar – Editions Gallimard 1968
Alors faisons le tour de la prison, les yeux ouverts, c’est bien la vocation de ces chroniques.
Rien, il ne se passe rien, seulement quelques mouvements de personnes sont observables depuis mon bureau, véritable loge de concierge de la rue des Ecoles. Nous entamons une expérience de mort sociale par absence de contact réel avec autrui.
Cette mort sociale est doublée d’une totale incertitude sur le temps. Jamais le temps n’a été pareillement aboli. On nous impose quinze jours de confinement et tout laisse à penser que cela ne suffira pas, que ce confinement durera probablement trois fois plus longtemps. Tout est chamboulé, j’annule des rendez-vous sans savoir quand les reporter.
Le luxe des gens toujours en retard sur leur pensée est qu’ils ont de quoi s’occuper à combler ces retards accumulés. Mais à quoi bon ? Je ne suis pas désœuvré mais quel sens donner à mon action ? Dans quelle direction aller ? Quelles priorités donner aux diverses alternatives ?
Cet état temporaire de confinement pose nécessairement la question de la durée et de la sortie. A ce jour nous n’en savons rien, tout est possible.
Or le temps est la première convention sociale sur laquelle s’appuyer. Le temps est l’essence même de la vie, de notre finitude, de notre humanité. Le temps, l’heure qu’il est, la date, le jour, le mois, voici bien des points sur lequel nous nous accordons aisément. Serait-il un ennemi commun pour faire consensus à ce point ?
Sans temps, sans tempo, plus rien n’a de sens. A quoi bon avoir un horaire durant le confinement quand on est seul et qu’on n’est redevable de rien en termes de délais ? Mon expérience de télétravail me dit cependant que l’autodiscipline chronométrique est une nécessité pour assurer sa survie dans l’épreuve de la perte de repère social.
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