Dimanche 31 mai – Maintenant que nous sommes déconfinés, nous nous croisons et avons à nous saluer, sans poignée de main, et sans bise. Alors quel geste pourrait bien remplacer ces conventions de salutation ? Faute d’accord, pendant un temps assez court, je me suis passé de saluer mes proches mais ça ne marche pas, il faut un moyen, un geste, un sésame.
La poignée de main, une drôle de pratique. En dehors de l’affirmation d’une poigne virile, quelle signification dans ce geste qui devient rapidement un rapport de force ? De plus, serrer la main d’une femme est toujours délicat, on ne veut pas paraître mou et on finit par lui massacrer les phalanges si jamais elle porte quelques bagues. La chose est impardonnable et la pratique beaucoup trop risquée. On oubliera facilement la poignée de main.
La bise, quelle horreur quand on est un homme ! On ne sait jamais si on est correctement rasé. Passé le milieu d’après-midi, la barbe rasée du matin repointe sa fraise et on est aussi chaleureux qu’une toile émeri.
Enfant, au moment d’aller me coucher, je n’aimais tellement pas embrasser mon père – ça piquait – que j’ai décidé de l’embrasser sur les lèvres. Ça en a choqué plus d’un mais nous avons conservé cet usage et c’est nettement moins désagréable que de frotter nos deux épidermes hirsutes. La pratique ne me parait pas généralisable.
Mesdames, je vous plaignais quand vous deviez, avant la catastrophe, faire la bise à tous ces poilus mal rasés, d’autant que certains en réclament quatre. Quelle goujaterie ! J’ai appris récemment qu’un homme qui vous impose de lui faire la bise s’appelle un forceur. On n’est pas loin du violeur.
Et puis après tout pourquoi les salutations seraient-elles genrées ? Il est vrai qu’avant le coronavirus, la bise était de plus en plus pratiquée entre hommes. C’est la meilleure façon d’expérimenter ce que nos convenances imposent à nos femmes qui par ailleurs ont le plus souvent l’élégance de prendre soin de leurs visages. On se passera très bien de la bise.
Il y a l’accolade pratiquée entre hauts dignitaires. Le rapport est trop proche en temps d’épidémie et mes performances électorales ne me permettent pas de me prendre pour le président de la République.
Il y a le salut à la japonaise, il lui manque l’indispensable échange de regards préalable.
Il y a le Namaste indien avec les deux mains jointes mais la signification dépend de la hauteur à laquelle on les place, en haut vers le ciel, à hauteur du visage ou de la poitrine. Le plus courant est à la hauteur de la poitrine, on peut alors vous prendre pour un catholique pénitent et je ne peux pas prendre ce risque.
Le clin d’œil aurait ma préférence, je le pratique assez spontanément. Malheureusement sa signification n’est pas dénuée d’ambiguïté alors il vaut mieux éviter en terrain inconnu. Et puis certaines personnes en sont incapables et c’est douloureux de voir son vis-à-vis grimacer les deux yeux mi-clos.
On évitera aisément le salut hitlérien y compris dans la forme dérisoire utilisée par Charlie Chaplin dans le Dictateur. Le salut militaire ne saurait s’appliquer à la vie civile. Alors que faire ? Comment exprimer la reconnaissance, le respect, le plaisir de rencontrer notre prochain ?
Après avoir tout essayé, j’en suis arrivé à saluer en m’appliquant la main droite sur la poitrine et, après avoir regardé mon vis-à-vis dans les yeux, je m’incline un bref instant. Ça fonctionne assez bien avec hommes, femmes et enfants, c’est pas mal.
Conclusion, grâce au coronavirus, je ne me rase plus qu’un jour sur deux.
Tu m’as fait trop rire………….
Je vais le lire plusieurs fois, c’est géant !